Bilan de la première année d'exercice de l'Autorité de la concurrence : la pratique décisionnelle et les affaires marquantes de 2009 (Juillet 2010)
La loi n°2007-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie (dite « LME ») a instauré, à compter du 1er janvier 2009, l’Autorité de la concurrence (« l’Autorité ») en lieu et place du Conseil de la concurrence (cf. article intitulé « Nouvelle Autorité de la concurrence à compter du 1er janvier 2009 » publié dans notre e-newsletter de décembre 2008).
Après sa première année d’exercice, l’heure est aujourd’hui au bilan. Avant d’aborder la pratique décisionnelle de l’Autorité en 2009 (cf. article intitulé « bilan de la première année d’exercice de l’Autorité de la concurrence : la pratiques décisionnelle et les affaires marquantes de 2009 » également publié dans notre e-newsletter de juillet-août 2010), il faut tenter de mesurer l’impact qu’aura eu la réforme de 2008 sur l’activité de l’Autorité.
1. L’exercice par l’Autorité de son pouvoir d’autosaisine contentieuse et consultative
Durant l’année 2009, l’Autorité s’est autosaisie à 8 reprises de dossiers relatifs à des pratiques susceptibles d’être anticoncurrentielles :
- 6 auto-saisines sont liées à la mise en œuvre du nouveau dispositif de l’article L.450-5 alinéa 2 du code de commerce[1] qui permet au Rapporteur général de proposer à l’Autorité de se saisir d’office du résultat des investigations menées par la DGCCRF (Direction Générale de la Concurrence Consommation et Répression des Fraudes).
- 2 auto-saisines sont intervenues dans le cadre de la possibilité offerte à l’Autorité de se saisir de sa propre initiative à titre consultatif.
En effet, aux termes de l’article L.462-4 du Code de commerce introduit par la LME, « l’Autorité de la concurrence peut prendre l’initiative de donner un avis sur toute question concernant la concurrence » et peut, à ce titre, « faire valoir son point de vue chaque fois qu’elle l’estime nécessaire, par exemple pour proposer des pistes de réflexion, pour faire le bilan concurrentiel des textes en vigueur, pour enrichir la préparation de textes réglementaires ou législatifs ou encore pour recommander la prise de mesures nécessaires à l’amélioration du fonctionnement concurrentiel de certains marchés » (site Internet de l’Autorité de la concurrence).
C’est sur le fondement de l’article L.462-4 que, par deux fois durant l’année 2009, l’Autorité s’est autosaisie et a rendu les deux avis suivants :
1.1 L’avis n°09-A-55 du 4 novembre 2009 sur le secteur du transport public terrestre de voyageurs :
Cet avis est relatif à la question de la concurrence dans les transports terrestres de voyageurs et de l’intermodalité (articulation train et autres modes de transport) laquelle s’inscrit dans le cadre de l’ouverture à la concurrence du trafic ferroviaire au 1er janvier 2010. L’Autorité s’est autosaisie de cette question par décision 09-SOA-01 du 18 mai 2009. Dans son avis n°09-A-55, l’Autorité analyse, en particulier, le cadre concurrentiel dans lequel doivent se situer les relations de l’opérateur historique (SNCF) avec les nouveaux entrants sur le marché du transport terrestre de voyageurs et les autres opérateurs de transport public.
L’Autorité formule, de manière préventive, un certain nombre de recommandations :
- la séparation de l’activité de gestion des gares : les gares ferroviaires sont détenues par la SNCF en situation de monopole légal. Pour permettre aux gares de faire appel librement à des opérateurs concurrents de la SNCF, il faut sérieusement envisager la séparation de l’activité de gestion des gares des autres activités de la SNCF : soit par le transfert de cette mission à un gestionnaire d’infrastructures indépendant qui assurera l’accès non discriminatoire de l’ensemble des opérateurs ferroviaires aux gares ; soit par la filialisation de la mission considérée ; soit par la séparation fonctionnelle au sein d’un département autonome de la SNCF.
- l’allocation d’espace aux concurrents accédant aux gares ;
-
la diversification des activités de la SNCF : dans le cadre de l’intermodalité (articulation train et autres modes de transport), le mode ferroviaire est un mode privilégié au sein de la chaîne de transports de nature à conférer à la SNCF et à ses filiales un avantage concurrentiel. Aussi, la SNCF doit se montrer prudente pour ne pas fausser la concurrence (par exemple, elle ne doit pas proposer à des sociétés organisatrices une offre de transport intégrée verticalement reposant sur des interconnexions auxquelles n’auraient pas accès les concurrents de Kéolis, filiale de SNCF dans le transport public de voyageurs) ;
- la nécessaire mise à disposition des informations relatives au transport ferroviaire.
1.2 L’avis n°10-A-13 du 14 juin 2010 relatif à l’utilisation croisée des bases de clientèle (« cross selling ») :
Cet avis a été rendu à la suite de la décision n°09-SOA-02 du 14 décembre 2009 par laquelle l’Autorité s’est autosaisie de la question de l’utilisation croisée des bases de clientèle dans le secteur particulier des télécommunications. Il a, en effet, été relevé que les opérateurs dans ce secteur privilégient des stratégies de convergence entre les marchés de la téléphonie fixe, de la téléphonie mobile et de l’accès à Internet haut débit. Du coup, les opérateurs sont incités à utiliser de manière croisée leurs bases de clientèle et à proposer des offres de couplage (ou offres de convergence) telles que « triple play » (téléphone fixe, internet et télévision) ou même « quadruple play » (téléphone fixe et mobile, internet, télévision).
Face aux interrogations de France Télécom-Orange sur la licéité de ce modèle d’« opérateur universel » avant de lancer sa propre offre « quadruple play », l’Autorité de la concurrence considère, dans son avis n°10-A-13 que :
- L’utilisation croisée de bases de clientèle d’un marché à l’autre n’est pas de nature à créer une distorsion de concurrence dans la mesure où ces données ne sont pas des informations privilégiées et qu’elles ont été recueillies dans le cadre d’une « compétition par les mérites » ;
- en revanche, l’offre de couplage « quadruple play » d’Orange pourrait soulever un risque pour la concurrence en ce que la généralisation des offres de convergence (i) risque d’accroître les coûts de changement d’opérateur pour le consommateur dissuadé dès lors de changer d’opérateur, (ii) présente un risque de verrouillage : les « foyers » s’équipent spontanément auprès d’un même opérateur pour tous leurs besoins et (iii) peut constituer une barrière à l’entrée pour les opérateurs mobiles qui n’interviennent que sur un seul marché.
Aussi, l’Autorité préconise plusieurs recommandations pour instaurer la fluidité des marchés et faciliter le changement d’opérateur pour les consommateurs détenant un abonnement multiple auprès d’un même fournisseur (durée réduite d’engagement, synchronisation du terme des abonnements aux services haut débit et mobile, standardisation de certaines fonctionnalités pour en assurer l’interopérabilité…).
2. L’activité consultative accrue de l’Autorité
2.1 Avis sur saisine du Sénat
Sur le fondement de l’article L.461-5 du code de commerce[2], l’Autorité a été saisie par la commission des affaires économiques du Sénat d’une demande d’avis sur le fonctionnement du secteur laitier et a rendu l’avis correspondant n°09-A-49 du 2 octobre 2009 aux termes duquel l’Autorité préconise la contractualisation entre les producteurs et industriels pour faire face à la problématique de l’effondrement du prix du lait.
Dans la mesure où cet avis constitue la première enquête sectorielle sur ce sujet dans l’Union européenne, l’Autorité a été élue, conjointement avec le Bundeskartellamt, afin de représenter les autorités nationales de concurrence aux côtés de la Commission européenne pour la préparation du rapport sur le secteur remis au Conseil européen en juillet 2010.
2.2 Avis sur saisine du Ministre de l’Economie
Plus classiquement, l’Autorité a été saisie par le Ministre de l’Economie d’un certain nombre de demandes d’avis sur des accords interprofessionnels dérogatoires des délais de paiement obligatoires prescrits à l’article L.441-6 du Code de commerce.
Comme rappelé dans notre e-newsletter de janvier 2009[3], la LME a institué un délai de paiement maximal de 45 jours fin de mois ou de 60 jours date de facture pour les transactions entre les entreprises (article L.441-6 §9 du code de commerce), entré en vigueur le 1er janvier 2009 et devant être impérativement respecté, à peine de s’exposer à l’amende civile (pouvant aller jusqu’à 2 million d’euros) telle que prévue à l’article L.442-6 III du code de commerce. Toutefois l’article 21-III de la LME prévoyait une possibilité de dérogation temporaire par l’adoption d’accords interprofessionnels faisant état de raisons économiques particulières à ce secteur pouvant justifier ce report et permettant ainsi la réduction progressive des délais pratiqués pour atteindre le délai légal au plus tard le 1er janvier 2012.
L’accord dérogatoire doit, pour être applicable, être approuvé par décret après avis de l’Autorité.
C’est la raison pour laquelle l’Autorité a donc dû faire face, cette année, à un afflux de saisines émanant du Ministre de l’Economie sur le fondement d’accords interprofessionnels dérogatoires aux délais de paiement légaux. C’est ainsi que l’Autorité a émis, entre les mois de février et juin 2009, 34 avis – en grande partie favorables – sur de tels accords.
Ces avis ont été rendus dans des secteurs aussi différents que le bricolage, l’horlogerie-bijouterie, les activités manuelles et artistiques, les armes et munitions pour la chasse, les pneumatiques, la conserve alimentaire, la quincaillerie industrielle, les compléments alimentaires, la tonnellerie (…).
3. Les nouveaux pouvoirs d’enquête et d’investigation de l’Autorité
Les services d’enquête et d’instruction, autrefois répartis entre la DGCCRF et le Conseil de la concurrence, ont été réunis, par la réforme de 2008, au sein de l’Autorité sous la responsabilité du rapporteur général qui dispose aujourd’hui de véritables pouvoirs et moyens en matière d’enquête. L’Autorité s’est notamment vue doter d’un véritable service d’investigation intégré et composé d’enquêteurs de la DGCCRF et d’anciens rapporteurs de l’ex-Conseil de la concurrence.
Aux termes de l’article L.450-1, ce sont les agents des services d’instruction de l’Autorité, dirigés par le rapporteur général, qui mènent l’enquête. Le rapporteur général peut néanmoins demander au Ministre de l’Economie de lui mettre à disposition des agents de ses services pour une période donnée (article L.450-6).
En 2009, 6 enquêtes ont impliqué à elles seules la visite de 50 sites et la participation de 170 rapporteurs et de 39 enquêteurs de la DGCCRF.
Si le Ministre de l’Economie conserve, à titre résiduel, certains pouvoirs d’enquête, il doit, aux termes de l’article L.450-5 alinéa 1 du Code de commerce[4], préalablement présenter au rapporteur général les enquêtes qu’il envisage de mener sur des faits relevant des articles L.420-1 et L.420-2 du Code de commerce (pratiques anticoncurrentielles). Dans le délai d’un mois, il appartient au rapporteur général de décider s’il souhaite prendre la direction de l’enquête ou la laisser mener par la DGCCRF.
En 2009, sur 81 projets d’enquête transmis par les services du Ministre, 30 seulement ont retenu l’attention de l’Autorité.
4. L’examen par l’Autorité des notifications de concentration
La LME a confié, à titre principal, à l’Autorité l’examen de toutes les demandes d’autorisation des concentrations qui était dévolu auparavant au ministre de l’Economie lequel sollicitait, seulement le Conseil de la concurrence pour avis.
C’est donc cette année que, pour la première fois, l’Autorité a instruit seule les notifications de concentration et a décidé de leur autorisation ou des engagements éventuels à prendre par les entreprises concernées.
L’Autorité s’est montrée particulièrement active dans l’exercice de son nouveau pouvoir : d’une part, elle a adopté le 16 décembre 2009, ses propres lignes directrices en matière de concentration venues remplacer celles édictées en 2004 par la DGCCRF (cf. notre Newsletter de février 2010[5])
D’autre part et sur les 115 notifications de concentrations qui lui ont été adressées, l’Autorité a rendu 94 décisions.
Il est à noter que le nombre de notifications adressées à l’Autorité est, à peu de choses près, similaire à celui concernant les notifications adressées, sur les trois dernières années, au Ministre de l’Economie. La baisse du nombre d’opérations réalisées, du fait de la récession économique, a été compensée par l’augmentation du nombre d’opérations notifiées dans le secteur du commerce de détail en raison de l’abaissement des seuils[6].
Sur les 94 décisions de l’Autorité :
- 88 sont des décisions d’autorisation rendues en Phase I, dont 3 décisions sous réserve d’engagements (ces 3 décisions sont détaillées dans l’article intitulé « bilan de la première année d’exercice de l’Autorité de la concurrence : la pratiques décisionnelle et les affaires marquantes de 2009 » également publié dans notre e-newsletter de juillet-août 2010), et
- 6 décisions constatant l’inapplicabilité du contrôle.
[1] Article L.450-5 alinéa 2 du code de commerce : « le rapporteur général est informé sans délai du résultat des investigations menées par les services du ministre. Il peut, dans un délai fixé par décret, proposer à l’autorité de se saisir d’office ».
[2] Article L.461-5 du code de commerce : « les commissions du Parlement compétentes en matière de concurrence peuvent entendre le président de l’Autorité de la concurrence et consulter celle-ci sur toute question entrant dans le champ de sa compétence »
[3] Article intitulé « Précisions utiles sur les délais de paiement maximum en vigueur depuis le 1er janvier 2009 »
[4] Article L.450-5 alinéa 1 du code de commerce : « le rapporteur général de l’Autorité de la concurrence est informé avant leur déclenchement des investigations que le ministre chargé de l’économie souhaite diligenter sur des faits susceptibles de relever des articles L.420-1 »
[5] Intitulée « que retenir des nouvelles lignes directrices en matière de contrôle des concentrations ?
[6] Pour rappel en effet, depuis la LME, doivent désormais être notifiées les opérations de concentration intervenant entre des entreprises du commerce de détail lorsque « (i) les entreprises concernées par cette concentration réalisent ensemble sur le plan mondial un chiffre d’affaires supérieur à 75 millions d’euros [au lieu de 150] et (ii) deux au moins de ces entreprises réalisent, dans au moins un des départements ou collectivités territoriales concernés, un chiffre d’affaires à 15 millions d’euros [au lieu de 150] »(article L.430-2 II du code de commerce)