Saisies informatiques : la Cour de cassation valide indirectement les pratiques de l'Autorité de la concurrence (Avril 2011)
Deux arrêts de la Cour de cassation du 18 janvier 2011[1] viennent mettre un coup d’arrêt aux espoirs des conseils et de leurs clients quant à la possibilité d’invoquer la nullité des procès-verbaux de saisies informatiques, en cas de saisie de messages couverts par la confidentialité des correspondances clients/avocats.
Bien que rendus en matière de saisies informatiques par l’Administration fiscale, ces deux arrêts semblent transposables aux pratiques de l’Autorité de la concurrence (« ADLC »), pratiques que la Cour de cassation semble indirectement valider au travers de ces deux arrêts.
Dans ces deux espèces, les entreprises dans lesquelles les saisies contestées avaient été opérées ont notamment soulevé la nullité des procès-verbaux de saisies, arguant du fait que des documents couverts par le secret professionnel avaient été saisis et que cette saisie illégale devait entraîner – du fait de l’indivisibilité et de l’insécabilité de la messagerie électronique saisie (argument privilégié de l’Administration pour justifier les saisies globales) – l’illégalité et la nullité de tous les éléments contenus dans la messagerie électronique.
Au travers de ces deux arrêts, la Cour de cassation rejette cet argumentaire, considérant que les saisies de documents couverts par la confidentialité des échanges clients/avocats n’entraînent pas l’annulation entière du procès-verbal de saisie : « la présence dans une messagerie électronique de courriels couverts par le secret professionnel n’a pas pour effet d’invalider la saisie des autres éléments de cette messagerie » ajoutant également que « dès lors qu’il est allégué que certains documents saisis au cabinet de l’avocat étaient couverts par le secret professionnel, il y a lieu d’ordonner la production desdits documents, sans annulation du procès-verbal établi à cette occasion, seule la saisie de ces documents devant éventuellement être annulée et leur restitution ordonnée ».
Pour la Cour de cassation, le fait que la messagerie électronique soit insécable ne permet pas davantage d’en déduire que l’illégalité entachant la saisie de certains messages devrait entraîner la nullité de toute la saisie : seule doit être invalidée la saisie illégale des messages protégés, même en cas d’insécabilité de la messagerie électronique dans son ensemble.
La position de la Cour de cassation, qui a pour effet indirect de conforter l’ADLC dans sa pratique de saisies informatiques globales, apparaît particulièrement conservatrice s’agissant d’une question qui fait pourtant de plus en plus débat.
En effet, les saisies informatiques pratiquées par l’ADLC sont, à juste titre, de plus en plus critiquées. Sa pratique de saisies globales des messageries électroniques méconnaît, à l’évidence, le principe de la confidentialité des échanges clients-avocats et la restitution ultérieure de tels messages par les services d’instruction de l’ADLC ne compense qu’imparfaitement la violation du secret des correspondances au moment de la saisie.
Pour justifier cette pratique, L’ADLC s’abrite couramment derrière l’article L.450-4 du Code de commerce lequel dispose que les saisies peuvent s’exercer sur « tout support d’information » (entendu comme les CD, DVD-ROM mais aussi le disque dur lui-même) et que cette saisie globale est le seul moyen de ne pas altérer l’authenticité et l’intégrité des messages saisis ; par ailleurs, elle considère que le mécanisme de restitution a posteriori des documents « protégés » est une garantie suffisante pour les entreprises au regard du secret des correspondances si tant est que l’entreprise sollicite expressément une demande de classement en secret des affaires.
Ces justifications ne sont pas satisfaisantes ni même de nature à rassurer une entreprise dont beaucoup de documents informatiques « protégés » auraient été saisis. Au moment de la saisie, le mal est déjà fait : comment garantir, en effet, que les messages couverts par le secret professionnel qui auront été parcourus par les services d’instruction de l’ADLC n’influeront pas – même après avoir été restitués – sur la perception qu’aura l’ADLC des éventuelles pratiques anticoncurrentielles reprochées ? Au delà même de la protection du secret des correspondances, la pratique des saisies informatiques globales malmène les droits de la défense.
Récemment, la Cour d’appel de Paris elle-même a paru sensible aux critiques des entreprises et de leurs conseils sur le caractère global des saisies informatiques en ordonnant une expertise pour étudier la possibilité d’une saisie sélective des courriers d’une messagerie électronique[2]. Apparemment intéressée par l’argumentaire développé par l’entreprise ayant fait l’objet de la saisie contestée, la Cour d’appel considère que dette dernière « explicite de manière plausible l’existence d’une méthode de saisie de documents informatiques et de messagerie et d’une méthode d’inventaire électronique qui pourraient, sous toutes réserves, permettre de concilier les droits effectifs de la défense avec une lecture au premier degré des articles 56 du CPP et L.450-4 du Code de commerce ».
La Cour d’appel, à l’instar des entreprises et de leurs conseils, semble donc également appeler de ses vœux une méthode de saisie qui devrait «tout à la fois préserver l’authenticité et l’intégrité des saisies et le contenu des ordinateurs visités (…), permettre un contrôle juridique et concret des opérations par les acteurs de la procédure et par les juridictions, et garantir à l’entreprise visitée la possibilité de faire retirer, avant même leur analyse par les enquêteurs, les documents qui seraient sans rapport avec l’enquête ou couverts par un secret légal ».
Cette possibilité de restitution des messages saisis, avant même leur examen par les enquêteurs, semble d’ailleurs renvoyer aux pratiques d’autres autorités de la concurrence, mais également à celle mise en œuvre par la Commission européenne (cf. la pratique de l’enveloppe scellée). Même le droit pénal français semble offrir, dans une moindre mesure, cette possibilité dont l’ADLC ne semble pas avoir voulu pour l’instant s’inspirer. Ainsi, l’article 56 du Code de procédure pénale prévoit la mise sous scellés provisoires des objets et documents saisis, si l’inventaire sur place n’est pas possible, étant entendu que les scellés ne pourront ensuite être ouverts qu’en présence de la personne au domicile de laquelle la perquisition a eu lieu.
Indépendamment des arrêts de la Cour de cassation évoqués ici, tout espoir n’est donc pas encore perdu s’agissant d’une évolution prochaine de la pratique des saisies informatiques par l’ADLC.
Aux fins de dresser son rapport sur les alternatives possibles aux saisies informatiques globales, l’expert désigné par la Cour d’appel de Paris, dans son ordonnance du 2 novembre 2010, a notamment pour mission de se faire communiquer la documentation technique des autorités de concurrence (néerlandaise, de la Commission Européenne ou de l’International Competition Network) sur l’approche qu’ont ces autorités des saisies informatiques et de fournir tous éléments susceptibles de permettre au premier Président de la Cour d’appel « d’évaluer techniquement la possibilité de la saisie sélective des messages dans la messagerie électronique sans compromettre l’authenticité de ceux-ci ».
Inutile de dire que ce rapport d’expertise est attendu avec grande impatience…
[1] Arrêts de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 18 janvier 2011 ; pourvois n°10-11778 et 10-11777
[2] Ordonnance du 2 novembre 2010